Mimi Lorenzini

 
Mimi Lorenzini est mort le 12 décembre dernier. C’était un ami très cher et un compagnon de musique depuis dix huit ans.
Mimi Lorenzini, Françoise Toullec. Opéra Bleu 2007. Photo Nelly Brun.
Mimi Lorenzini. Opéra Ferroviaire 2004. Festival de Querbes. Photo Nelly Brun.
Mimi Lorenzini. Manifestives à Anglure 2005. Photo Nelly Brun.
Pour le retrouver, quelques vidéos :
Très bel hommage à Mimi Lorenzini, mis en ligne le 23 déc par Y.A.Ortega concert 2009 à Troyes hommage
Duo avec Zéno Bianu, dans «  l’enfant vaudou  »
TRIANGLE  : Viens avec nous
TRIANGLE  : Peut-être demain
Gala pour Gaza 30 mai 2013 à Pantin/ Lorenzini / Toullec/ Debattice
Gala pour Gaza à Clichy Lorenzini/ Toullec/ Boukobza
Jeux de Brousse  : Extraits sonores morceau intitulé  »Françoise Toullec  » à  : Oreille
Jeux de Brousse, Opéra Ferroviaire, Opéra Bleu  : Photos, vidéos, extraits sons
Album Question de Temps
album Ni Plus Ni Moins

L'article de Sylvain Siclier du service Culture du "Monde"
Témoignages sur les années de musique, de partage et d’amitié avec Mimi Lorenzini (Françoise Toullec, décembre 2014)

La première fois que j’ai rencontré Mimi c’était à Paris, lors d’un concert en trio avec Ann Ballester et Jean Luc Ponthieux, magnifique trio de jazz  ; et lui, derrière ses lunettes et son physique à la Groucho Marx, avait à la guitare un jeu tout à la fois drôle, raffiné et puissant… la qualité de son discours et sa grande écoute de l’autre m’avaient impressionnée. Il partait dans un solo aux sinuosités et développements fulgurants et revenait l’instant d’après comme si de rien n’était avec une ritournelle, en accompagnateur et fin rythmicien.

Je me souviens l’avoir vu jouer peu de temps après en rocker déchaîné dans une performance, sous les gerbes étincelantes projetées sur une plaque de verre, travaillée au métal incandescent. C’était à Romilly sur Seine en 1998 avec le sculpteur William Noblet.
Cela a été de début d’une longue collaboration entre nous trois.
A côté du guitariste virtuose*, il y avait le musicien éclectique, s’investissant avec autant de générosité dans les projets des autres que dans les siens, capable de jouer allégrement dans les circonstances et les espaces créatifs les plus divers.
C’est à ses côtés que j’ai pu créer ainsi Jeux de brousse, L’Opéra ferroviaire à Capdenac, Opéra bleu* , où l’on retrouvait mêlés aux musiciens et acteurs le chant de singes hurleurs, les poèmes de Jean Pierre Bobillot, les structures sonores géantes de Noblet, une locomotive à vapeur, un texte anarchiste de Calaferte… Les bandes son et mixages étaient réalisés dans son studio d’enregistrement, totalement équipé, possédant aussi un piano à queue  ; nous y avons constamment répété, et même donné des concerts en petit comité, et c’est là que Mimi a produit nombre de «  démos  », et même deux albums, Le Perturbateur et Ni Plus Ni Moins car il était passionné par le son et tout son travail de studio était pour lui une façon très importante de «  faire vivre  » les projets, comme il disait.

L’homme n’était pas toujours commode, il pouvait vitupérer, pourfendre la terre entière, brocarder les uns et les autres, mais dans le fond c’était un humaniste, doué pour la vie, et très apprécié pour son sens de la convivialité. Il avait par ailleurs une forte conscience politique et n’hésitait pas à mettre son art au service de causes telles que celle de Gaza par exemple*.
Dans son jardin, à la belle saison il y avait des fruits, et toutes sortes de légumes, des tomates rouges et jaunes, des herbes odorantes  ; Mimi aimait jardiner et cuisiner, tirer toutes les saveurs de la terre, épicurien dans la vie… comme dans sa musique, ouverte aux différentes familles de musiciens, associant les professionnels et les élèves, accueillant la poésie. Je me souviens du plaisir que j’ai eu à participer à ses créations et à leurs répétitions, qu’il dirigeait de façon non autoritaire mais efficace et toujours dans une bonne et malicieuse humeur.

C’était un pédagogue, il se donnait beaucoup à ses activités d’enseignant, en Champagne Ardenne comme en région parisienne dans les différentes écoles et conservatoires, sacrifiant un peu, il faut le dire, sa carrière de guitariste et de musicien de scène, mais il aimait fort la relation à ses élèves et prenait grand plaisir à jouer avec eux. Patrick Brosse, à la direction du Conservatoire du Blanc Mesnil où Mimi tenait la classe de jazz depuis 24 ans, témoigne  :«  De temps en temps, l'instant d'un concert ou, le plus souvent d'un concert d'élèves, il créait de ces moments où le temps semble s'arrêter, jusqu'à ce que, dans le cataclysme final d'une exaspération de dissonances, tout se termine dans un sourire complice. Parfois, il nous livrait sa passion pour la poésie ou pour l'Afrique et nous découvrions un être passionné, généreux aussi, ailleurs comme ici.  »

C’est avec cette même générosité qu’il était engagé dans le travail associatif à MusiSeine, collectif d’artistes qu’il avait créé en 1992 à Marcilly sur Seine avec Ann Ballester, et que nous dirigions, accompagnés de fidèles amis, habitants des villages voisins  :le plasticien sculpteur William Noblet, la photographe Nelly Brun, le graphiste Vincent Perrotet, le peintre Thomas Chevalier et tous ceux qui nous aidaient en bénévoles…les manifestations se multipliaient ainsi autour du jazz, des musiques improvisées, des projets pluridisciplinaires, dans les villages et petites villes alentour, contribuant à redonner une vie culturelle à ces territoires trop souvent laissés-pour-compte. Ainsi ont eu lieu Jazz’o foyer, Jazz à domicile, les concerts Estivaux à l’église, Les Dimanches de la musique, les Manifestives…où se produisaient non seulement les artistes de l’association dans leurs nouvelles créations mais aussi de nombreux musiciens invités  : Martial Solal, Archie Shepp, Aldo Romano, Les Frères Moutin, Claudine François, Le Spoumj avec François Jeanneau, François Tusques, Monica Passos, Anne Ducros, Hasse Poulsen et Phil Minton, le quatuor vocal Sanacore, l’Ensemble Galata, et tant d’autres encore…C’était une fête à chaque fois, et on se retrouvait après les concerts autour d’un buffet et de quelques coupes de champagne.

La musique de Mimi était festive elle aussi, «  audacieuse, tumultueuse, enivrante et profonde  » (JazzMagazine  » janv. 2006), une vingtaine de musiciens occupant parfois la scène, comme dans Opus pour un autre temps* sur les poèmes de Mahmoud Darwich  ; ses compositions s’apparentaient à la musique de jazz puis prenaient une tournure d’inspiration plus traditionnelle, voire orientale, tout en laissant une large place à l’improvisation contemporaine… ou ancienne  !
Des titres comme L’Orchestre de l’Extase sur un poème de Claude Pellieu, «  les racines rouges du ciel  », en disent long sur ce qui le faisait vibrer, sur ses affinités avec les écrivains et poètes de la Beat Generation, Kérouac, Ginsberg, Burroughs, participant de cette créativité vigoureuse et libertaire.
Improviser avec lui, c’était ressentir immédiatement sa complicité, sa liberté de jeu, hors des contraintes rythmiques et tonales, mais aussi sa force, ses assises, son histoire, son «  underground  » et recevoir tout cela comme de formidables points d’appui.

Sa longue collaboration ces dernières années avec l’écrivain Zéno Bianu* témoigne de son attirance pour les œuvres à forte densité émotionnelle, et toujours de cette vocation à créer des musiques situées à la frontière du jazz, du rock et de l’improvisation free. La trilogie de l’auteur  , Chet Baker  Déploration, Jimi Hendrix  Aimantation  et John Coltrane Méditation a été donnée avec les musiques de Mimi Lorenzini en compagnie du comédien Jean Luc Debattice, aussi bien dans les grandes salles ( Le Silex à Auxerre) que dans les lieux plus modestes (Bibliothèques et Médiathèques de Champagne Ardenne).

Voyageur, tout en avançant en âge il souhaitait parcourir le monde, sans doute à la recherche de nouvelles perceptions. Depuis sa récente implantation à Abidjan en Côte d’Ivoire, où il séjournait régulièrement depuis quelques années, il avait tissé des liens forts avec les artistes de ce pays  ; il avait élaboré des projets avec le peintre et écrivain Frédéric Bruly, ainsi qu’avec un groupe de Balafonistes virtuoses, le groupe «  Djarabikan  ». Il m’avait fait écouter l’enregistrement d’un concert qu’il avait donné avec eux en octobre dernier. Epoustouflant. Quelques jours avant sa mort Mimi avait rencontré les partenaires culturels de La Région Champagne Ardenne pour mettre sur pied un projet qui devait permettre d’accueillir les Balafonistes. Quelle aventure cela aurait été pour nous tous  !

Nous gardons en mémoire le merveilleux concert, le dernier, qu’il avait donné en duo d’improvisation avec le percussionniste Pablo Cueco. C’était à Saron sur Aube, le 15 novembre, une collaboration Musiseine et ComUnArt.


Jeux de Brousse 1999 à Romilly sur Seine. Photo Nelly Brun.